Comment faire passer à Manel une journée à la plage, les pieds dans le sable, et sous le soleil des tropiques. Eh bien ce n'est pas difficile, invitez-le à une balade aux Îles Frades et Itaparica, en bateau style ancien, avec deux mâts et zéro voiles, du bois partout, du plancher, une barre à roue cachée vers l'arrière, on se demande comment le barreur peut se diriger, avec devant lui cent cinquante péquenots qui lui bouchent la vue (au barreur, pas à Emmanuel, faut hiérarchiser les nécessités, quand même). Derrière lui, l'orchestre lui assourdit les oreilles (de tous, barreur compris).
Parmi les touristes, des bahianaises, et des Saô pauliennes se déplacent parfois sans grâce. On a même cru discerner quatre espagnols : ils se distinguent par leur morgue, et leur à-plomb. ils s'allongent quand tous sont assis. Ils font semblant de dormir, quand les 146 autres passagers rigolent, se parlent, échangent, pépient, bref, tout notre objectif de voyage anti sommeil des relations humaines et des organismes. Bref, des espagnols. Nous, nous continuons encore à nous retourner sur l'absence.
Comme si Louis-Jo nous manquait. Notre quatuor a perdu son violoncelliste. Mais non il n'est plus là. Nous devons envisager la vie, droit devant, en trio maintenant. Deux pianistes, et un (mauvais) chanteur. Je m'égare encore une fois, vous êtes complaisants avec moi de supporter de telles incartades.
Donc, levés avant le gong, nous descendons l'ascenseur le plus célèbre du monde, qui nous éleva hier, et nous amène au port, à travers les reliefs des concerts du premier janvier. C'est la foule des grands jours, pour partir sur un des huits bateaux qui quittent simultanément le port des ferries à 9h00 pétantes.
Dans la cohue, nous distinguons sur le côté une inscription en français : il y est question de revêtements, et de bâtiment. Ca y est les initiés ont déjà compris c'est le bateau de Vincent Riou candidat malheureux du Vendée Globe. Il a heurté une baleine à 25 noeuds vers le Cap, et remonte vers la France, avec une quille ébranlée. La baleine aussi doit être ébranlée ! L'engin passe presque inaperçu dans l'agitation de l'endroit.
En effet, quel carroussel sur l'eau. Les gros diésels poussent des volutes odorantes, la marche arrière, et le créneau avec 250 tonnes de carêne en bois n'impressionnent personne, ni le retournement en toupie autour des deux hélices, avec vent de travers, et quai sans amortisseur autre que des pneus Michelin 1200 x20. Après, le capitaine tend élégamment le bras aux dames, mêmes les espagnoles. Nous voilà partis. On longe Bonfim, l'église d'hier, le fort, le clube des iates, imposant. Le commentaire en portugais, répété quatre fois, nous convainc d'une soudaine compréhension du portugais.
Une heure et demie de bonne traversée confortable, le bar est ouvert. L'orchestre emmène derrière lui les danseurs autour du pont.Photographe pro, et tout. Des messieurs attaquent la caïpi de onze heures. L'un d'eux devra piteusement dégobiller sans gloire, en l'absence de roulis au retour. Une jeune fille pleure de ses jolis yeux dans les bras de son amoureux. Nous prions pour elle.
L'île des Frères est en vue. L'histoire du Brésil continue à donner le sans faute aux catholiques : ici, ce sont des frères qui sont venus évangéliser. Ils ont été peu après tout simplement mangés par les indiens. Rien à redire, ni argent ni pierreries sur cette île, rien que du don de leur personne, de l'abandon de leur vie pour la gloire de Dieu. Et les brésiliens, bons chrétiens ne l'ont pas encore débaptisée. En France, ce serait devenu l'île des esclavagistes, ou l'île des voleurs de métaux. Non ici, c'est juste et vrai : c'est l'île des Frères. L'embarcadère est somptueux, il le faut pour laisser du passage et un octroi aux centaines de passagers, tout aussi instantanément coordonnés qu'au départ de Salvador tout à l'heure. 800 personnes vont vers la droite où s'alignent les parasols. Trois vont vers la gauche, sous un arbre au feuillage hospitalier, à côté d'un tronc recourbé. Instant sublime (citation du livre de Mathias, décrivant le moment où Suffren déboule sur les Anglais à La Praya, pas trop loin d'ici, une dizaine de jours de mer tout au plus, et qu'il envoie la couleur blanche de son pavillon pour indiquer qui il est, et ficher aux anglais la trouille de leur vie, après laquelle pendant plus de vingt ans, puisque cela se passe en 1781, les anglais n'oseront plus s'approcher ni attaquer un français, et obtiendront de la Reine de réduire la flotte de Yorktown permettant à de Grasse d'aider les américains à bouter les Anglais hors d'Amérique, je ferme la parenthèse, mais si cela intéresse quelqu'un, à la chandelle, on peut en reparler) parce qu'aujourd'hui, j'ai quelque chose à dire, faut pas croire. Donc instant sublime, palétuviers, fille et femme en maillot de bain entrant et sortant de l'eau turquoise en chantonnant, sieste à l'ombre. Vive Suffren
Nouveau transfert maritime vers la deuxième île Itaparica. Une brise s'est levée. Au premier embrun, l'équipage (on dit les tribulationes, même si vous ne me croyez pas : un homme d'équipage est une tribulation) descend les bâches latérales, et transforme le pont en dog-house (autobus sur l'eau), en plus large, et aux mouvements plus doux. Le prochain débarquement sur la plage sera comme au jour J (D day, pour les américains, ne parlons plus des anglais pour aujourd'hui si vous le permettez), par chaland en bois par rang de cinquante. En fait, je me demande si cela ressemble plus à Lampedusa, à Utah beach, ou à l'exode vers la mer Jaune des vietnamiens de Phat Diem, devant les vietminhs, confiants d'être secourus par la Marine Royale française. Faut les brésiliens pour le prendre avec le sourire. Pas de mitrailleuse en face, rien que des paillottes. Même la mamma obèse est prise sous les bras par deux colosses, et ses pieds sont balancés par dessus le plat-bord, d'un geste incroyable de culot, et de confiance réciproques. La plage, la paillotte, la vraie, (pas la paillotte corse) avec que des planches, dont certaines ont été peintes en vert. Le bord de mer classique. (Ne pas regarder l'arrière des paillottes). Boisson fraîche, mais si mais si, et un poisson grillé chaud, mais oui, mais oui. Certes après une heure, et une interférence inexpliquée entre l'heure respectve d'arrivée des autres convives, et l'heure de leur départ avant que nous, nous ne soyons servis. Mais après tout, nous n'étions pas plus pressés que cela. Pour le réembarquement, on n'était pas prévenus qu'il allait falloir se mouiller. Où est la sécurité des vedettes de Bréhat. Pas ici, c'est sûr. Mais d'un autre côté, aucun français ne vous débarquera sur une aussi belle plage (corse ?) avec de si sympa paillottes, et un poisson grillé à un prix aussi raisonnable (non corse). Merci Seigneur !
Reste la troisième branche de cette vaste promenade nautique sur un petit bout de la baie de Tous les Saints (elle fait plus de 100 kilomètres de long). Le retour vers les tours de Salvador est contre le vent. La carêne ancienne est parfaite pour le clapot de la baie. Quelle belle journée. A l'arrivée, nous faisons le tour du bateau PRB de Vincent Riou. Belle bête en carbone, au milieu des grandmères an bordé de bois. Un initié de Séte, descendu de son RM1200, très beau vert anis, nous dit toute l'histoire (qu'on avait déjà vue sur Internet).
Sympa, il nous donne le goût de la traversée entre le Cap Vert et Joao Pessoa,
une petite marina tenue par un français, si cela tente quelqu'un qui lit ce blog, dix jours de mer. Qu'en pensez-vous pour l'année prochaine.